L’innovation managériale ne figure pas au rang des priorités des dirigeants des entreprises françaises.
Tout le monde s’accorde à dire que nos entreprises doivent se réinventer pour gagner en agilité, en flexibilité et en compétitivité. Le thème des innovations managériales est devenu un objet de débat particulièrement central dans le monde des entreprises et au sein de la communauté académique. En cause, l’intensification de la concurrence, la révolution numérique, l’apparition de consommateurs de plus en plus informés, exigeants et acteurs de leur consommation, ou encore la complexification des cadres légaux. Autant de tendances actuelles qui imposent aux entreprises de nouveaux défis. Les entreprises doivent dans ce contexte questionner leurs modes d’organisation afin que ces nouvelles exigences deviennent des opportunités et non des menaces.
Des dirigeants encore peu concernés
Alors que l’innovation managériale est au cœur des débats, il apparaît qu’elle n’est pas nécessairement au cœur des priorités concrètes des dirigeants d’entreprises françaises. C’est ce que révèle l’étude menée par la Chaire Innovations Managériales d’Audencia, et administrée par l’institut BVA, à l’été 2018*. En effet, lorsqu’on leur demande quelle est leur premier chantier en matière d’innovation, l’innovation produit et l’innovation technologique sont les plus citées, ex-aequo en haut du podium (chacune citées par 27% des dirigeants français). L’innovation opérationnelle arrive en troisième position des priorités des dirigeants français (18% la citent en premier). L’innovation managériale n’arrive qu’en quatrième position (15% des dirigeants seulement la citent comme leur première priorité), certes devant l’innovation de business model qui arrive bonne dernière (seulement 4% la citent en premier). Comment expliquer ce constat ?
Une vision très positive de leur entreprise
Tout d’abord, les dirigeants français ont une vision très positive de l’entreprise qu’ils dirigent ainsi que de leurs équipes. Ainsi, ils sont quasi-unanimes (96% des répondants) pour dire que leur entreprise offre des produits et des services performants : 91% d’entre eux estiment que leur entreprise est aussi très orientée clients et 88% considèrent également qu’elle est très soucieuse du « bien-être » des salariés. Dans la même lignée, un peu plus de huit dirigeants sur dix présentent leur entreprise comme flexible et agile (82%). Des résultats aussi positifs laissent perplexes. Il semble tout à fait improbable que quasiment toutes les entreprises françaises soient aussi performantes sur l’ensemble de ces aspects. Les dirigeants français semblent donc trop enthousiastes au sujet de leur entreprise. Dans de telles conditions, on comprend bien que renouveler l’organisation et le management ne soit pas en haut de leur agenda !
Des innovations managériales peu connues
De plus, on peut également expliquer le fait que l’innovation managériale ne soit pas la priorité des dirigeants français par leur faible maîtrise du sujet. Beaucoup d’entre eux connaissent un nombre très limité d’innovations managériales. Le tableau ci-dessous présente dans le détail les taux de notoriété chez les dirigeants français d’un certain nombre d’entre elles.
Ces chiffres démontrent qu’il y a un réel déficit de connaissances sur les potentialités offertes par les innovations managériales, ainsi que les risques réels qui y sont associés et les dispositifs d’accompagnement à la transformation organisationnelle et managériale qui peuvent être mis en place.
Une approche court-termiste
Enfin, lorsqu’on questionne plus spécifiquement les dirigeants français sur les raisons pour lesquelles ils n’entreprennent pas de renouveler les pratiques de management dans leur entreprise, ils évoquent comme première raison le manque de temps. La deuxième raison qu’ils mentionnent est qu’ils ne veulent pas pénaliser leur entreprise à court terme en la mettant en tension. Ces deux motifs semblent suggérer que beaucoup adoptent paradoxalement une vision court-termiste, qui privilégie l’immédiat au détriment de la mise en place de démarches de fond de nature à assurer la pérennité de l’entreprise sur le long terme. Enfin, la troisième raison qu’ils évoquent est qu’ils ne pensent pas pouvoir mobiliser les managers intermédiaires afin de créer la dynamique collective nécessaire à de tels changements. Dans tous les cas, les difficultés qu’anticipent les dirigeants français reposent sur une information très partielle puisque, comme nous l’avons évoqué, leur connaissance des potentialités et des enjeux associés aux innovations managériales est très faible.
Un besoin de se reconnecter au terrain
L’optimisme qu’ affichent les dirigeants démontre une volonté de ne pas voir (et ne pas dire) ce qui ne fonctionne pas au sein de leur entreprise, ou procède tout simplement d’une méconnaissance de ses dysfonctionnements. Dans les deux cas, cela suggère que les dirigeants ne se confrontent pas à la « réalité » de l’entreprise. Pour ce faire, il est absolument nécessaire qu’ils s’y reconnectent davantage en passant du temps au plus près du terrain. Ceci afin de se forger des représentations de l’intérieur et non pas seulement de regarder l’entreprise « par le haut », car cela aboutit nécessairement à des représentations souvent très partielles et potentiellement biaisées. Il faut également qu’ils acceptent de mettre en discours ces difficultés avec l’ensemble des acteurs de l’organisation afin de parvenir à des représentations partagées de l’organisation et du management de l’entreprise.
En outre, les scientifiques travaillant sur le thème des innovations managériales se doivent aussi d’accompagner les dirigeants dans la construction de représentations pragmatiques sur le fonctionnement des entreprises qu’ils dirigent. Il s’agit également de mieux faire connaître les potentialités des innovations managériales au travers des programmes de formation initiale mais aussi de formation continue. Enfin, et plus largement, les réflexions académiques doivent être rendues accessibles aux praticiens en multipliant les occasions de rencontres et de débats et en sortant d’un langage qui reste malheureusement trop souvent perçu comme complexe et peu accessible.
*Les résultats détaillés de cette étude sont à lire dans l’ouvrage « Les innovations managériales : Donner du sens à la transformation », à paraître chez Dunod en juillet 2019.
Vous pouvez retrouver l’article original de Harvard Business Review en cliquant ici.